XR – Action Proximus : contre la 5G

Repris d’Indymedia Bruxsel

Ce samedi 20 mars, une dizaine de membres du collectif XR-NO-S.M.A.R.T. (against Surveillance Machination, Artificial intelligence, Robotization and Transhumanism) ont bloqué durant une quinzaine de minutes l’ouverture de la boutique Proximus, située au siège de l’entreprise à Bruxelles.
Portant des masques évoquant les dérives de la smart-city de demain, nous avons déployé une banderole sur laquelle on pouvait lire « Proximus nous rapproche tous …de la CATASTROPHE ».

Proximus est en effet un acteur majeur du déploiement de la 5G en Belgique, et certainement le plus visiblement actif (rappelez-vous le déploiement de la “5G-light” en plein confinement l’an passé).
XR-NO-S.M.A.R.T. estime que le déploiement de la 5G, ainsi que le cortège d’innovations technologiques qui l’accompagnent (notamment l’Internet des Objets), sont une catastrophe à plus d’un titre :

  • Catastrophe énergétique : Le gain d’efficacité de la 5G ne diminuera en rien la facture énergétique totale, en raison de l’augmentation promise du trafic de données ; ce qui va à l’encontre des engagements nécessaires en matière de lutte contre le réchauffement climatique qui visent à réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
  • Catastrophe environnementale et sociale : la fabrication des milliards d’objets dits intelligents connectés entraîne l’accélération de la course déjà effrennée aux matières premières et la poursuite éhontée du pillage des ressources (minérales et autres), avec des effets destructeurs pour les peuples, la biodiversité et les territoires ainsi sacrifiés.
  • Catastrophe démocratique : la 5G est étroitement associée avec la mise en place d’un gigantesque arsenal de surveillance et de contrôle total des citoyens, qui conduit à la suppression pure et simple de nos vies privées, selon le modèle totalitaire chinois.

Pour ces raisons, et parce que l’adoption et le déploiement de la 5G se font sous l’influence directe des lobbies des télécommunications et des technologies, sans consultation de la population, nous réclamons un moratoire sur la 5G et la mise en place d’assemblées citoyennes ayant pouvoir de décision sur l’adoption ou non de cette technologie.

Le mandat du collectif XR-NO-S.M.A.R.T. va au-delà du combat contre la 5G. Cette technologie est étroitement liée au capitalisme de surveillance, où les sociétés du big data (GAFAM en tête) ont le contrôle absolu sur le marché mondialisé des données comportementales. La collecte de ces données va de pair avec le développement de la surveillance de masse par l’État, qui signe la fin de la vie privée sous des prétextes sécuritaires, sanitaires ou écologiques. Nous nous opposons également à la déshumanisation de la société et au développement débridé des technologies numériques et du virtuel. Enfin, parce que nous défendons le vivant et voulons rester humains, nous dénonçons l’idéologie transhumaniste, dont l’objectif ouvertement affiché est de se débarrasser de l’espèce humaine pour lui substituer une espèce augmentée par ingénierie génétique et hybridation électro-mécanique.

Pour (re)joindre le collectif : XRBE-NO-S.M.A.R.T@protonmail.com

Bruxelles Dévie – La vraie 5G débarque (déjà) en Belgique

Pendant le premier confinement, Proximus avait lancé une 5G “light” en différents endroits à travers la Belgique, en profitant de la période troublée pour s’asseoir confortablement sur tout processus démocratique. Depuis, elle avait été retirée de certains lieux, notamment à cause des protestations qui avaient été émises sur le sujet.

Pourtant, début décembre, l’entreprise est passée à la vitesse supérieure : la “vraie” 5G a été activée dans 3 endroits en Flandre, près d’Anvers, de Gand et de Haasrode. Il ne s’agit donc plus du prototype, qui utilisait les fréquences de la 3G et la 4G ; il s’agit bien de la version définitive de la 5G. Pour ce qui est de la Wallonie et de Bruxelles, Proximus est freinée par des normes de rayonnement un peu plus strictes ; l’entreprise attend donc les conclusions d’un groupe d’experts wallons.

La technologie de pointe est défendue avec véhémence par la porte-parole de Proximus : “La 5G est la seule technologie de réseau mobile qui puisse répondre aux besoins futurs de la société”. En réalité, nos sociétés ne connaissent qu’un besoin pour le futur, en termes de technologie : l’urgence de ralentir, dès maintenant, pour ne pas tomber dans le gouffre dont nous nous rapprochons à pas de géant.

S’il ne s’agit pour l’instant que de “tests”, la ministre de la télécommunication De Sutter (Groen) a récemment expliqué que les enchères du spectre auront lieu fin 2021 ou début 2022 et que le Gouvernement obligera les opérateurs à une couverture d’au moins 70% de la population un an après la contrat, soit à la mi-2023 au maximum. Ce taux devra évoluer à 99,5% au bout de deux ans de contrat.

Il est toujours dit que les “démocraties” sont construites pour que la majorité du peuple décide. Or, les choix sont en réalité effectués par ceux qui nous gouvernent et, de plus en plus, par les puissantes entreprises qui bénéficient de passes-droit. L’exemple de la 5G est saisissant : avons-nous décidé d’une telle aberration ? Elle est pourtant en train de se réaliser, sous notre nez…

Sources :
https://www.7sur7.be/tech/proximus-active-la-vraie-5g-dans-trois-lieux-en-belgique~ab9cb027/
https://www.sudinfo.be/id305847/article/2021-01-06/le-gouvernement-vise-une-couverture-en-5g-de-70-de-la-population-dici-

Nous n’avons pas besoin de la 5G

Dans la nuit du 9 au 10 février, nous, Gilets Jaunes, avons entrepris une action de sensibilisation sur les problématiques soulevées par la 5G.
Cette action a eu lieu dans une une dizaine de villes à travers toute la Belgique : Gand, Tournai, Mons, Bruxelles, Wavre, Louvain-La-Neuve, Perwez, Corbais, Gembloux, Namur, Bouge, Arlon, Libramont, Wanlin, Wavre et peut-être aussi d’autres lieux surprises.
Notre action décentralisée et nationale a consisté à placarder des centaines d’affiches dénonçant la 5G sur des dizaines de téléboutiques de Proximus (et un téléboutique Orange).
Encore une fois, qui dans ce pays a décidé dans l’ombre ce qui serait bien pour « le bon peuple » ? À quel étage de la démocratie y a-t-il eu débat sur l’impérieux besoin de développer la 5G ?
Cette course en avant technologique est le symptôme d’une société qui ne parvient toujours pas à remettre en cause ce dogme de la sacro-sainte croissance. À l’heure où, pourtant, il serait désirable de créer un nouvel imaginaire sociétal.
Les vieilles recettes du productivisme continuent leur trajectoire « à fond de train » vers une fracture sociale (et numérique) toujours plus grande et une exploitation des sources (et non pas des ressources) tout bonnement écocidaire.
L’accélération des flux d’information et des flux financiers, induite par cette nouvelle technologie nuisible ne favorise pas la stabilité sociale. Bien au contraire : elle en est prédatrice. En permettant au capitalisme d’aller toujours plus vite, c’est la société de surveillance et les diktats de la rentabilité qui l’emportent sur le besoin d’une société en harmonie avec l’environnement et l’humain. Aller plus vite, c’est décider de délocaliser ces flux financiers prédateurs dès que l’économie toussote. La conséquence en est la déstabilisation des structures sociales, dont les états. Ceux-ci ne régulent plus rien ; ce sont les multinationales qui mènent l’orchestre.
Non, nous n’avons pas besoin de la 5G.
Rien qu’au niveau sanitaire, aucun principe de précaution n’a été adopté. Il est avéré que nombre de personnes électro-sensibles souffrent de ces flux hertziens. Combien de citoyens et de citoyennes ont déjà subi les effets de cette nouvelle nuisance ? Leur santé ne compte-t-elle pas ?
Les effets des champs électromagnétiques ont des incidences prouvées sur les infections virales ainsi que sur la capacité du corps à réparer l’ADN endommagé, ce qui peut conduire aux cancers et à d’autres pathologies. *
Non, nous n’avons pas besoin de la 5G.
Au niveau environnemental, il est clairement établi que les ondes électromagnétiques ont un impact sur l’avifaune, notamment sur les vols migratoires, dont ils perturbent les tracés séculiers. De même des incidences très claires interviennent sur l’erratique des cétacés que nous retrouvons parfois échoués curieusement sur nos plages. Certes la 5G n’est pas en cela seule en cause, mais la multiplication d’agressions sur le déroulement paisible du vivant finit par éradiquer bon nombre d’espèces. Allons-nous laisser à nos enfants les seules chimères et licornes comme héritage imaginaire ou va t-on prendre à bras-le-corps les mesures de protection urgentissimes garantissant que, comme nous, nos mômes puissent, un jour rieur, approcher les autres êtres vivants autrement que dans des livres de légendes…
Non, nous n’avons pas besoin de la 5G.
La laideur.
Bétons et amas de métaux, câbles et caoutchouc, grandes casseroles tournées vers le ciel et vers la fenêtre du voisin, rejoignent les horodateurs « intelligents », les caméras globulaires inquisitrices, les radars de tronçons autoritaires, pour ponctuer la Smart City, cette ville dystopique à la Brazil (film de 1985) où tout serait conçu pour vous enlaidir la vie par un contrôle tentaculaire auquel s’ajoutera le stress, la suspicion et la servitude volontaire. Hideuse cité se substituant à un quartier fleuri, aux espaces ouverts, dans une désormais sombre réalité où il sera interdit de respirer librement. Dans votre boite mail arriveront comme par enchantement les publicités issues des enseignes face auxquelles vous avez simplement tourné un regard distrait. Après, une surprenante compulsion vous donnera envie d’acheter, pour compenser vos oppressions quotidiennes. La facture suivra, le pli d’huissier aussi, vous incitant à travailler davantage pour toujours payer davantage. Ainsi va le cercle très peu vertueux de ce progrès qui n’en est pas un.
Non, nous n’avons pas besoin de la 5G !
Nous ne réclamons, au final, que la souveraineté sur nos destins et sur nos corps. Alors que les capitalistes brevettent le vivant (les semences, les OGM, le patrimoine immatériel comme le purin d’orties, etc.), à l’heure où l’eau finit par être cotée en bourse (Nestlé), voici qu’on cherche à franchir une étape supplémentaire dans la confiscation du bien commun : rendre captif ce qui reste de libre dans l’espace aérien. Merci les multinationales de la télécommunication ! Les lignes satellitaires d’Elon Musk trottent déjà dans un ciel pourtant déjà bien encombré, et avec elles l’ombre du transhumanisme triomphant et dictateur,
Que de mesures prises en douce sous couvert du covid, comme faire passer en force la question non débattue de la 5G. Nous assistons là, véritablement, à une stratégie du choc ** où, après avoir instauré la sidération par la peur, nos institutions défaillantes ne prendront même plus la peine d’oser le débat. On nous imposera enfin un gadget de plus, qui ne servira au final qu’une élite folle, dans sa course effrénée, nous poussant un peu plus en avant vers une catastrophe pourtant aussi prévisible qu’inéluctable. Il en restera juste la laideur grise, que la nature, après nous, se dépêchera à son tour de vite effacer.
Nous n’avons pas besoin de la 5G !
Nous appelons tous les citoyens non-embrigadés par la dictature technologico-marchande qui cherche à se mettre en place, à résister et à rejoindre la manifestation contre le déploiement de la 5G le 20 mars à 14h à Bruxelles.
* Sources : stop5g.be
** La Stratégie du Choc a été théorisée par Noami Klein dans son best-seller du même nom. Nous vous conseillons à tous cette lecture.

Célia Izoard – 5G : Xavier Niel a menti

Repris de Reporterre, 5 décembre 2020

Contre l’avis de la Convention citoyenne pour le climat [1], en dépit de craintes parfaitement rationnelles sur ses effets sur le vivant, malgré des dizaines de pétitions et de recours en justice, le gouvernement amorce un passage en force sur la 5G. Le 18 novembre, l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes), a officiellement autorisé les opérateurs à activer leurs fréquences sur les sites déjà équipés en antennes. La veille, Xavier Niel, patron de Free, était auditionné par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. « Il ne faut pas avoir peur de la 5G, a-t-il déclaré aux députés. C’est une formidable opportunité pour construire une société plus sobre, plus efficace. » Arrêtons-nous sur cette affirmation, qui n’a fait réagir aucun des députés de cette commission parlementaire.

Xavier Niel, le 17 novembre 2020, devant la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. Le mensonge devant des députés est puni de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.

L’idée que la 5G puisse créer « une société plus efficace » n’est pas absurde. La question est plutôt : efficace pour qui ? Efficace pour quoi ? Efficace à quel prix ? Inonder l’environnement d’objets connectés est sans doute très efficace pour les entreprises, en leur permettant de renouveler les marchandises et de créer de nouveaux usages pour une clientèle dont elles auront les moyens de connaître les moindres agissements. Mettre en réseau les caméras, drones et détecteurs de mouvement, traiter et envoyer les données dix fois plus vite pour créer des environnements de surveillance ultra-réactifs et automatisés sera sans doute très efficace pour les services de sécurité de la planète, qu’ils soient publics, privés ou militaires. Interconnecter l’infrastructure urbaine aux véhicules pour faciliter la circulation de flottes sans conducteur sera très efficace pour toutes les entreprises qui ont intérêt à licencier du personnel — chauffeurs, conducteurs routiers, livreurs. Le problème, c’est que l’efficacité n’est pas censée être une valeur politique, sauf dans Nous Autres (Gallimard, 1929), le roman d’anticipation glaçant de Zamiatine. Pour l’instant, il n’est pas encore écrit « Croissance, ordre, efficacité » sur les frontons des mairies et des écoles.

L’industrie numérique devrait réduire ses émissions ? Elles augmentent de 9 % par an

Dire, en revanche, que la 5G permet « une société plus sobre » paraît surréaliste. Le déploiement de ce nouveau réseau se traduirait par trois mille nouveaux pylones d’ici 2022, et 10.500 en 2025 [2]. D’après le Shift Project, les équipements 5G consomment deux à trois fois plus d’énergie que ceux de la 4G [3]. L’argument consistant à dire qu’à volume de données égal, la 5G est plus économe est inopérant, puisque le but de son déploiement est de faire transiter plus de données, plus lourdes, en moins de temps. Elle sert à télécharger plus de vidéos plus vite, à déployer plus d’objets connectés. Elle va démultiplier le volume de données à stocker dans le cloud [nuage en français] si mal nommé, c’est-à-dire dans des data centers qu’il faut alimenter en électricité en permanence. Elle permet d’offrir des forfaits mobile mensuels de 70 giga-octets à des gens qui, s’ils consomment 40 gigas, ont déjà un gros problème d’addiction au numérique. Elle aura pour effet immédiat de nécessiter la production de plusieurs milliards de smartphones 5G.

Plus de machines, plus d’électricité, plus de données, plus d’usages : mais de quoi au juste parle Xavier Niel ? D’une société plus sobre en main-d’œuvre ? D’une société si intoxiquée par ses écrans qu’elle en oubliera de boire de l’alcool ? Non, car les mots ont un sens et un contexte. Le patron de Free a menti. Pour respecter l’Accord de Paris, l’industrie numérique devrait réduire ses émissions, elles augmentent déjà de 9 % par an, et il est logiquement impossible que le passage à la 5G n’aggrave pas la situation [4].

On risque à la fois l’accélération du chaos climatique et la société de contrôle

On peut décider de trouver ça grave, qu’un grand patron mente aux députés en commission parlementaire sur un choix de société déterminant. Pourquoi ? Parce que le cas contraire signifierait que ces auditions n’ont pas plus de valeur qu’une interview menée par un organe de presse complaisant (et rappelons que Xavier Niel est copropriétaire du Monde, de l’Obs, de Télérama, de la Vie, de Manière de voir, de Courrier international, et du groupe Nice-Matin, entre autres). De fait, mentir devant une commission parlementaire est un délit, prévu par l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958. Un faux témoignage est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende, porté à 100.000 euros d’amende et sept ans de prison lorsque le faux témoignage est provoqué par la remise d’un don ou d’une récompense quelconque – c’est-à-dire lorsque la personne a intérêt à mentir.

Exemple d’application de conseil aux agriculteurs, basée sur la récolte de données relatives aux exploitations (météo, composition du sol etc.).

Alors certes, on pourrait considérer que Xavier Niel, en parlant de « la société plus sobre » de la 5G, ne faisait qu’énoncer un pronostic, un souhait ; qu’il peut se tromper, mais que le pari mérite d’être tenté. Parions sur la divinité Progrès, dont l’avenir nous dévoilera peut-être les insondables mystères. Quadrillons les parcelles maraîchères et les cultures céréalières de capteurs, installons-y des tracteurs autonomes, et voyons si on débouche sur une société plus sobre. Donnons à Amazon le moyen d’automatiser ses livraisons, il les utilisera peut-être pour réduire le volume de ses ventes en ligne. Quel suspense ! Avec le pari du philosophe Pascal, au moins, on n’avait rien à perdre : si Dieu n’existait pas, tant pis ; s’il existait, tant mieux. Mais quand on risque à la fois l’accélération du chaos climatique et la société de contrôle, on est forcément d’humeur moins joueuse.

Bruxelles dévie – Ils et elles se préparent déjà à la 6G

Ces derniers temps, la 5G a soulevé un débat en Belgique et à travers le monde. Ce nouveau standard de télécommunication, entre 20 et 100 fois plus rapide que le précédent, permettra d’accélérer la transmission des données et de connecter une énorme quantité d’objets. En échange, il nous fera baigner dans encore plus d’ondes électromagnétiques. Les coûts écologiques sont non-négligeables, notamment parce que la 5G nécessite une antenne toutes les 150 mètres dans les grandes villes pour avoir l’efficacité présentée par les géants de l’industrie technologique.

Il faut préciser que ces antennes sont fabriquées à partir de métaux rares, que l’on extrait de terre en polluant massivement et en employant des minier·ère·s sous-payé·e·s, dans des conditions de travail insupportables. Environ 1% de ces métaux peuvent être recyclés. Les poussières des métaux lourds sont déposées sur le sol après extractions ; elles sont donc inhalées par la population vivant aux abords des mines, c’est-à-dire, dans la quasi totalité des cas, une population pauvre du Sud-global. Par ailleurs, la 5G demande la création d’une immense vague de nouveaux smartphones qui, eux-aussi, sont construits à base de métaux rares.

Ensuite, bien qu’un transfert de données par la 5G demande moins d’énergie que via la 4G, il est très probable que nous assistions à un “effet-rebond”, comme à chaque apparition d’une nouvelle technologie de pointe. “Effet-rebond” signifie que, bien que la technologie soit moins énergivore, elle amène à une plus grande consommation d’énergie au total, parce qu’elle est beaucoup plus utilisée que la précédente. De plus, les centres de données (Data centers) seront sur-mobilisés, puisqu’ils devront stocker encore et toujours plus de données.

La 5G facilitera aussi la surveillance des individus à cause de l’interconnexion et de l’hyper-traçabilité des objets connectés à cette technologie. Bref, il n’est pas étonnant que la 5G suscite un débat : nous avons toutes les raisons de la rejeter en bloc. Pourtant, des gouvernant·e·s et des entreprises privées ont déjà lancé son déploiement, malgré les nombreuses contestations légales (pétitions, interpellations, …). Il est probable que nous nous réveillions bientôt entouré·e·s d’antennes. D’ailleurs, certain·e·s ont déjà pris le pli de contester d’une autre manière : de nombreuses antennes 5G ont été brûlées à travers le monde.

Pendant ce temps, où le “débat démocratique” est évité dans pas mal d’endroits (ce n’est pas un hasard si les premiers déploiements ont eu lieu pendant le confinement, une période pendant laquelle nous ne pouvions pas réellement réagir), l’Union Européenne prépare déjà la suite. Effectivement, Samsung a appelé les différents acteurs du marché à se préparer au lancement de la 6G, d’ici à 2030. La 6G, ce sont des débits encore 50 fois supérieurs à la 5G, des ondes plus puissantes et, évidemment, un “effet-rebond”. La Chine vient de placer le premier satellite 6G en orbite.

L’Union Européenne avait pourtant écrit, dans la présentation de son “Green Deal”, que “Toutes les actions et politiques de l’UE devront contribuer à atteindre les objectifs du pacte vert. […] Les mesures à prendre doivent être audacieuses”. Plus on analyse les politiques européennes, plus on s’aperçoit du mensonge. En effet, la Commission Européenne a décidé d’une stratégie industrielle tournée vers la négation du problème environnemental, notamment en proposant un partenariat entre l’UE et le secteur privé. Il est question d ’ « achever le déploiement de la 5G” et de “préparer la 6G”.

Pour une question qui nous concerne tou·te·s à grande échelle, on aurait pu s’attendre à ce que les “démocraties” mettent en place un débat démocratique. Elles tendent pourtant à le nier, nous en tenons pour preuve que la 5G est déjà une réalité dans de nombreux endroits. On aurait pu aussi s’attendre à ce que, au grand minimum, on attende de voir les effets de la 5G pour se poser la question de la 6G. Il n’en est rien : pendant que nous protestons contre la 5G, l’Union Européenne va préparer l’avènement de la 6G en partenariat avec le secteur privé. Comment, dès lors, se sentir respecté par les institutions ?

Sources :
https://geeko.lesoir.be/2020/07/15/la-6g-pourrait-arriver-des-2030-avec-des-debits-50-fois-superieurs-a-la-5g/
https://www.euractiv.fr/section/economie/news/leak-eu-charts-6g-future-in-ambitious-industrial-plan/
https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2020/FR/COM-2020-50-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF
https://www.facebook.com/generationclimat/photos/a.315338685779622/561154814531340/?type=3
https://www.phonandroid.com/la-chine-place-le-premier-satellite-6g-en-orbite.html?fbclid=IwAR2IQB1-6qwmcIwMyHAga1gZu8IufuY4Mu14S9FJaKXh7aagTIAFfP72nTs

Collectif – Pour un réel débat démocratique sur les coûts sociétaux de la 5G

Carte blanche publiée sur levif.be

À quand un véritable débat public sur la 5G, ses enjeux et les trajectoires techno-scientifiques qui sont imposées à la population ?

Le déploiement de la 5G comporte des menaces potentiellement graves ou irréversibles pour l’environnement, la société et la santé. L’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte à ne pas se prémunir de ses effets et dommages, c’est d’ailleurs à cette fin que la loi prévoit un principe de précaution. Dans l’attente d’un vrai débat démocratique, d’évaluations minutieuses et indépendantes des risques liés à la technologie 5G, nous, associations signataires, demandons un moratoire immédiat sur son déploiement.

Nous rappelons par ailleurs que le gouvernement bruxellois s’est engagé à organiser un débat public sur le déploiement de la cinquième génération de téléphonie et de l’Internet mobile. Le 17 juin dernier, en commission environnement et énergie au Parlement bruxellois, le Ministre Alain Maron, en charge de la transition climatique, de l’environnement de l’énergie et de la démocratie participative, exprimait sa volonté de mener un débat public sur la 5G. « Il faut que tout le monde puisse comprendre les enjeux au niveau de l’environnement, de la santé, de l’économie et des usages « , déclarait-il au journal L’Echo le même jour.

Nous nous étonnons que les citoyen.nes, comités d’habitant.es, groupes et mouvements sociaux, associations… n’aient pas été informés à ce jour sur les modalités et objectifs du débat ni sur la manière dont les conclusions seront mises en oeuvre. En préalable à ce débat, il nous apparaît incontournable que les questions et enjeux sociétaux qui baliseront les thématiques du débat, ainsi que la sélection des « experts » qui seront invités à instruire les questions spécifiques (énergétique, biodiversité, mutation de l’emploi, accès aux données…), soient élaborés et choisis en concertation avec la société civile.

Nous refusons le lissage de questions essentielles et la caution démocratique d’un débat public qui ne serait en fait qu’un exercice de « pédagogie », expliquant aux citoyens, alors que tout aurait déjà été décidé en petits cercles fermés, le bien-fondé du déploiement de la 5G. Nous voulons un véritable débat sur les trajectoires techno-scientifiques qui nous sont aujourd’hui imposées sans nulle concertation.

Presque deux ans après la grande manifestation pour le climat qui a mobilisé 72.000 personnes dans les rues de la capitale, et alors même que nous sommes au coeur d’une crise sanitaire et écologique majeure, le « monde d’après » continue à être confisqué par les ténors de la croissance économique. Pour ceux-ci, la rentabilité semble être le seul objectif visé, sans jamais questionner les usages et les besoins. Dans ce contexte, la 5G est vendue comme une technologie verte, présentée comme un outil indispensable à la lutte efficiente contre le changement climatique et pour la protection de l’environnement. La stratégie de croissance européenne, couchée dans le « Green Deal », serait « adaptée à l’ère du numérique, transformant les défis climatiques et environnementaux en opportunités et en garantissant une transition juste et inclusive ». Au menu de ce « pacte vert » européen : intelligence artificielle, 5G, informatique en nuage, super-calculateurs, traitement des données à la périphérie (edge computing) et internet des objets.

« Cette « relance » prétendument verte est pourtant antinomique avec les objectifs visés : croissance de la consommation énergétique, croissance de l’extractivisme des métaux et déplacement de la pollution dans les pays non-européens, productivisme et surconsommation d’appareils numériques et de gadgets connectés, destructions des habitats naturels et de la biodiversité, dématérialisation croissante des services publics et privés qui renforce les inégalités…

En tout, ce sont 515 milliards d’euros d’investissements qui seront nécessaires dans l’ensemble de l’Union européenne d’ici à 2025 pour parvenir à l’objectif fixé d’orienter l’Europe vers une « société du gigabit » [1]. La Belgique entend y contribuer, comme tous les États membres de l’Union, en investissant l’argent public dans des entreprises privées.

Voulons-nous que cet argent public soit investi dans de nouveaux marchés, créant de nouveaux besoins incompatibles avec la protection de environnement, ou souhaitons-nous qu’il soit investi dans des structures et des services publics essentiels à toutes les personnes vivant en Belgique ?

Acceptons-nous de laisser s’implanter une technologie dont les effets sur la santé et la biodiversité sont encore mal connus et nullement maîtrisés ?

Voulons-nous d’une société où le numérique aura investi chaque espace-temps de nos vies, au profit des industriels qui pourront exploiter la manne de données nous concernant ?

Ces questions, et bien d’autres, doivent maintenant être mises à l’agenda d’un véritable débat public et démocratique sur la 5G.

Signataires :
Inter-Environnement Bruxelles, Attac Bruxelles, Acteurs et Actrices des Temps Présents, Bruxelles grONDES , Ondes.brussels, Domaine Public, CADTM Belgique, T.A.C.T.I.C asbl, NUBO, Technopolice.

[1] »Europe connectée : objectif 2025″. Rapport d’information n° 389 (2016-2017) de MM. Pascal ALLIZARD et Daniel RAOUL, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 9 février 2017, www.senat.fr

Evgeny Morozov – Bataille géopolitique autour de la 5G

Repris du Monde diplomatique d’octobre 2020

À la veille de son déploiement, la téléphonie mobile de cinquième génération — la 5G — suscite un flot de questions liées à son impact écologique, sanitaire et, plus fondamentalement, aux développements technologiques hors de contrôle. Mais le « grand jeu » de la 5G se mène aussi sur le terrain géopolitique avec, en toile de fond, l’affrontement toujours plus âpre entre les États-Unis et la Chine.

En 1994, alors que Huawei n’est encore qu’un petit vendeur de commutateurs téléphoniques, son fondateur, M. Ren Zhengfei, s’entretient avec le président chinois de l’époque, M. Jiang Zemin. Cet ancien ingénieur de l’armée reconverti dans l’électronique grand public joue la carte patriotique : « Les télécommunications sont une affaire de sécurité nationale. Pour une nation, ne pas posséder ses propres équipements dans ce domaine, c’est comme ne pas avoir d’armée (1). » Ce sage précepte a finalement été adopté par d’autres pays, États-Unis en tête. Ironie de l’histoire, ce sont eux aujourd’hui qui voient dans Huawei et son emprise sur la technologie de la 5G une menace pour leur sécurité nationale.

Détenue par ses salariés, l’entreprise se caractérise par son système atypique de direction tournante, son mépris pour les marchés publics — jugés « cupides » par M. Ren —, son culte des valeurs maoïstes et son attachement à l’idée d’innovation nationale pour briser la dépendance de la Chine à l’égard des entreprises étrangères « impérialistes ». Le groupe gère désormais des réseaux dans 170 pays et emploie plus de 194 000 personnes. Depuis 2009, il compte au nombre des principaux acteurs du développement de la 5G, tant au plan industriel qu’au sein des divers organismes internationaux de normalisation. À l’été 2020, Huawei a détrôné Samsung en devenant le premier vendeur de smartphones du monde. Considérée comme l’une des entreprises chinoises les plus innovantes, sa filiale HiSilicon a conçu la puce Kirin, qui propulse des applications d’intelligence artificielle parmi les plus évoluées du marché.

Ce succès remarqué s’explique en partie par un engagement indéfectible en faveur de la recherche et développement (R&D), à laquelle l’entreprise consacre plus de 10 % de ses bénéfices annuels, soit plus de 15 milliards de dollars en 2019 — 20 milliards escomptés en 2020 —, devant Apple et Microsoft. À titre de comparaison, l’ensemble du secteur automobile allemand a investi environ 30 milliards de dollars en R&D en 2018.

Au-delà de ces chiffres, Huawei représente un étendard pour la société chinoise : l’exemple rare d’une entreprise qui, partie du bas de la chaîne avec des produits rudimentaires et ultrastandardisés, tutoie à présent Apple ou Samsung. Sa trajectoire illustre les hautes aspirations du gouvernement pour le secteur des technologies. La Chine a longtemps été cantonnée dans la fonction d’usine de montage pour produits étrangers, comme le rappelle de façon humiliante la mention qui figure au dos de tous les appareils Apple : « Conçu en Californie, assemblé en Chine ». La destinée de Huawei démontre qu’une nouvelle ère pourrait s’ouvrir sous le slogan : « Conçu en Chine, assemblé au Vietnam ».

Si d’autres entreprises chinoises venaient à suivre cet exemple, la domination américaine sur l’économie mondiale pourrait s’en trouver sérieusement ébranlée. Certes, par le passé, des pays solidement ancrés dans la sphère d’influence des États-Unis ont connu un décollage économique fulgurant — Allemagne, Japon, « tigres » asiatiques —, mais le processus restait plus ou moins téléguidé par Washington. Au début du XXIe siècle, les Américains supportent mal de voir la Chine se hisser au sommet par ses propres moyens, en poursuivant ses propres objectifs géopolitiques, pendant qu’eux-mêmes semblent s’assoupir au volant.

En cela, les enjeux du débat actuel sur la 5G dépassent de beaucoup la question d’une domination chinoise sur cette norme de téléphonie. La 5G est cette technologie qui devrait permettre une plus grande rapidité de connexion sur un plus grand nombre d’appareils, eux-mêmes connectés et interconnectés, tout en rapprochant les opérations de traitement des données de leur source, à savoir l’utilisateur final. Mais le matraquage publicitaire qui l’entoure fait oublier les nombreux obstacles à son application industrielle. Pour la plupart des usagers, l’impact de la 5G se limitera à des vitesses de téléchargement accrues et, peut-être, à l’avènement de l’Internet des objets, annoncé depuis si longtemps.

L’armée des grille-pain connectés

Bien sûr, la montée en gamme des réseaux et des appareils réclame des investissements colossaux, et la bataille fait rage pour conquérir le marché. Mais Huawei et la 5G ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En toile de fond se joue un affrontement économique et géopolitique beaucoup plus vaste dans lequel les Chinois tentent de prendre l’avantage sur les Américains. Si la 5G met ces derniers dans tous leurs états, c’est parce qu’ils n’ont pas de champion à envoyer au front. L’Europe se montre plus sereine, car elle abrite deux équipementiers — Nokia et Ericsson.

L’offensive de Washington contre la haute technologie chinoise frappe un large éventail d’entreprises, de l’équipementier ZTE (propriété de l’État et très actif également sur le terrain de la 5G) à WeChat, en passant par TikTok et beaucoup d’autres moins connues. Mais Huawei en est indiscutablement la cible principale, parce qu’il incarne aux yeux de la Maison Blanche la quintessence d’une Chine sans scrupule, dont les États-Unis ne cessent de condamner et de sanctionner les forfaits, à Hongkong, dans le Xinjiang, en mer de Chine méridionale (2), etc., au point que M. Donald Trump désigne l’entreprise par l’un de ces petits surnoms qu’il affectionne : « l’Espion »  the Spyway »).

Vu du bureau Ovale, Huawei symbolise ces coups bas que le monde regarde à tort comme des succès commerciaux mérités. Il viole les droits de propriété intellectuelle, tyrannise ses partenaires, profite des généreuses aides de l’État pour casser ses prix et écraser la concurrence. En construisant des réseaux de télécommunications dans les pays du Sud, il les enferme dans une relation de profonde dépendance, participant ainsi de la « diplomatie de l’endettement » de Pékin, déployée notamment à travers son projet de nouvelles routes de la soie. Plus grave, Huawei équiperait ses produits de « portes dérobées » (backdoors) pour permettre au régime chinois d’étendre ses activités de surveillance. À en croire ses détracteurs les plus imaginatifs, le groupe sera bientôt capable de retourner contre nous nos réfrigérateurs et nos grille-pain connectés en 5G.

À l’appui de ces critiques, on cite souvent la loi sur le renseignement national promulguée par Pékin en 2017, qui impose aux entreprises (et aux citoyens) de coopérer avec les autorités en leur fournissant des informations si demande leur en est faite. Autre motif d’inquiétude : l’accélération de la « fusion civilo-militaire », un effort qui vise à fluidifier les relations entre le secteur des technologies et l’armée… et qui s’inspire de l’exemple américain (3). Huawei, pour sa part, dément catégoriquement les accusations d’espionnage, soulignant que le gouvernement chinois ne prendrait pas le risque de ruiner son crédit international.

Comme de coutume, les allégations de l’administration Trump reposent sur des preuves fort minces, voire inexistantes. Cela ne l’a pas empêchée de chercher à rallier à sa croisade plusieurs pays amis, notamment le Royaume-Uni, la France, l’Italie et de nombreux États d’Europe de l’Est, en les « incitant » à bannir Huawei de leurs réseaux 5G — un euphémisme, tant sont fortes les pressions économiques et diplomatiques exercées par le département d’État via ses ambassades. Et il en va de même sur tous les continents.

À la suite d’un intense lobbying du secrétaire d’État Michael Pompeo, le gouvernement chilien a dû se résoudre à écarter Huawei de son projet de câble sous-marin transpacifique. En Inde, où Huawei est très présent, le premier ministre Narendra Modi joue du choix ou non de l’équipementier chinois comme d’un instrument de représailles contre Pékin au lendemain d’affrontements frontaliers violents (lire « Pourquoi la Chine et l’Inde s’affrontent sur le Toit du monde »). Bien qu’aucune interdiction officielle n’ait encore été annoncée, New Delhi envisagerait de recourir à une entreprise nationale, Reliance Industries.

Le Royaume-Uni, pourtant quelque peu engourdi en ces temps de Brexit, a frappé un grand coup en juillet dernier en exigeant de ses opérateurs de téléphonie mobile qu’ils retirent de son réseau l’ensemble des équipements Huawei existants d’ici à 2027. La décision a surpris, tant ce pays fait figure de pivot de la stratégie européenne du groupe, Londres accueillant son siège régional. C’est aussi au Royaume-Uni que Huawei a ouvert, en 2010, en partenariat avec les services de renseignement britanniques, un Centre d’évaluation de la cybersécurité (HCSEC) chargé d’analyser et de corriger les failles de sécurité identifiées dans ses réseaux. Mais ces bonnes relations n’ont pas pesé lourd face aux intimidations de Washington et aux critiques du Parti conservateur, dans les rangs desquels s’est constitué un groupe parlementaire hostile à la Chine — la grande mode du moment.

L’Union européenne, elle, n’est pas parvenue à définir une politique commune sur la 5G, principalement parce que la question a été abordée en termes de sécurité nationale, un domaine dans lequel les États membres sont souverains. Il eût été plus judicieux de l’appréhender sous l’angle de la politique industrielle et des relations internationales. Un géant européen unique de la 5G, rejeton de Nokia et d’Ericsson, aurait ainsi pu voir le jour, généreusement subventionné et avec pour mission d’égaler les efforts de Huawei en matière de R&D. On peut douter que les choses évoluent dans cette direction, même si la Commission européenne, sous la pression des Français et des Allemands, a récemment montré des velléités de délaisser sa marotte — la compétitivité — pour tenir compte du contexte géoéconomique.

L’Allemagne, seul grand pays européen à ne pas avoir encore dévoilé son plan pour la 5G, a promis de trancher à l’automne 2020. La classe politique est divisée sur la question, et même le parti de Mme Angela Merkel se déchire. Les diplomates américains en poste à Berlin, eux, ne manquent jamais une occasion de rappeler à leurs interlocuteurs ce que pourrait leur coûter leur indulgence à l’égard de Huawei.

Diplomatie de l’endettement

Si, dans la légende écrite par M. Trump, l’entreprise de Shenzhen incarne le « communisme de connivence » à la chinoise, le phénomène Huawei appelle d’autres lectures. L’une des plus convaincantes est celle que propose l’économiste Yun Wen (4). Derrière ses fanfaronnades, son goût pour les aphorismes maoïstes et ses penchants nationalistes, M. Ren, l’actuel président de la société, apparaît comme un fin connaisseur des subtilités de la géopolitique. Sous sa houlette, Huawei s’est implanté dans des régions difficiles — les campagnes chinoises dès les années 1990, puis certains pays du Sud où les perspectives de profit étaient maigres — et en a fait des têtes de pont pour partir à l’assaut de marchés plus prometteurs. À mesure que la Chine étendait ses tentacules en Afrique et en Amérique latine, Huawei et son compatriote ZTE se greffaient sur le mouvement pour venir construire leurs réseaux, ces chantiers bénéficiant indirectement des prêts accordés par Pékin aux gouvernements locaux pour les aider à financer de grands projets d’infrastructure.

Selon Yun Wen, dans le cas de Huawei, cette diplomatie de l’endettement n’aurait pas eu que des effets néfastes. Non seulement les revenus générés par le groupe dans les pays du Sud sont relativement modestes comparés à d’autres marchés, mais son déploiement dans ces régions, en partie animé par l’esprit d’« internationalisme tiers-mondiste » cher à Mao Zedong, l’a conduit à former sur place un nombre appréciable d’ingénieurs et de techniciens qualifiés.

Les États-Unis ont toujours constitué pour Huawei une zone à haut risque, bien avant la présidence de M. Trump et même celle de M. Barack Obama. En 2003, l’équipementier chinois est attaqué par son principal concurrent américain d’alors, Cisco, pour violation de brevet. Ce premier revers sera suivi de beaucoup d’autres. Après s’être vu interdire toute prise de participation ou de contrôle dans des entreprises américaines, Huawei pourrait bien aujourd’hui perdre la faculté de servir ses propres clients et de lancer de nouveaux produits aux États-Unis. Depuis le début, une accusation revient comme un refrain : Huawei travaillerait main dans la main avec l’armée chinoise. En 2011, une révélation du Wall Street Journal (27 octobre) selon laquelle l’entreprise aurait commercé avec l’Iran, au mépris des sanctions américaines en vigueur contre ce pays, a alourdi le dossier. Dès 2013, Huawei a annoncé son retrait du territoire américain, et sa présence à Washington se résume désormais à une armée de lobbyistes.

On peut raisonnablement se demander pourquoi, les premières salves ayant été tirées il y a dix-sept ans, la campagne américaine anti-Huawei ne s’est intensifiée que récemment. Fin 2018, le gouvernement américain a ordonné l’arrestation de la fille de M. Ren, Mme Meng Wan- zhou, directrice financière de Huawei, lors d’une escale au Canada. Depuis, Washington a entrepris de démolir le groupe en édictant des sanctions toujours plus dures. M. Trump a demandé au fonds de pension officiel du gouvernement de ne pas investir dans des sociétés chinoises. Les sous-traitants de l’État fédéral doivent prouver qu’ils n’ont aucun lien commercial avec Huawei. Quant aux entreprises chinoises cotées en Bourse aux États-Unis, elles sont sommées de publier leurs comptes et de déclarer tout contact avec le gouvernement de Pékin. Plusieurs facteurs économiques et géopolitiques se conjuguent pour expliquer l’offensive de Washington.

Sur le plan géopolitique, les révélations de M. Edward Snowden en 2013 sur les activités de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) fournissent une piste intéressante, comme le rappelle Yun Wen. En 2010, sous le nom de code d’opération « Shotgiant », la NSA a piraté les serveurs de Huawei dans un double objectif : trouver trace des liens éventuels de l’entreprise avec l’armée chinoise — la pêche n’a pas dû être bonne, étant donné qu’aucun document n’a filtré dans les médias — et identifier les failles de sécurité de ses équipements afin de permettre aux services de renseignement américains d’espionner certains de ses États clients, comme l’Iran ou le Pakistan. Dans les documents divulgués par M. Snowden, la NSA ne fait pas mystère de ses intentions : « La plupart de nos cibles communiquent à l’aide d’appareils fabriqués par Huawei. Nous voulons nous assurer de bien connaître ces produits pour pouvoir les exploiter et avoir accès à ces lignes. » En février 2019, M. Guo Ping, président de Huawei par rotation, a formulé ce commentaire plutôt sensé : « [Huawei] est une épine dans le pied de Washington, parce qu’il l’empêche d’espionner qui bon lui semble. »

De fait, si Huawei gagnait la course à la 5G, la suprématie américaine dans le domaine du renseignement se verrait fortement compromise, ne serait-ce que parce que l’entreprise chinoise serait probablement moins disposée à coopérer de manière informelle avec les agences américaines que, par exemple, ses concurrentes européennes.

Sur le plan économique, au-delà des infrastructures matérielles que requiert la 5G, il faut s’intéresser au maillage de droits de propriété intellectuelle qu’elle implique. Avant toute chose, la 5G est une norme. Chaque réseau ou appareil qui entend l’exploiter doit respecter ses spécifications techniques, ce qui passe nécessairement par l’utilisation de technologies brevetées. Un smartphone moderne avec Wi-Fi, écran tactile, processeur, etc., est protégé au bas mot par 250 000 brevets (ce chiffre de 2015 est vraisemblablement plus élevé aujourd’hui). Selon une estimation de 2013, 130 000 de ces brevets seraient des « brevets essentiels à une norme » ou BEN (en anglais Standard-Essential Patents, SEP), ainsi qu’on qualifie ceux qui permettent de se conformer à une norme technique comme la 5G.

Dans le domaine des technologies mobiles, le nombre et la distribution géographique de détenteurs de BEN ont évolué aux dépens de l’Amérique et de l’Europe occidentale, et au profit des pays asiatiques (5). Qui dit brevet dit redevances. Ainsi, l’américain Qualcomm, grand gagnant de la 2G et de plusieurs autres normes importantes, tire deux tiers de son chiffre d’affaires de la Chine, majoritairement de Huawei. À lui seul, ce dernier a dépensé depuis 2001 plus de 6 milliards de dollars en redevances, dont 80 % sont allés à des entreprises américaines. Ces montants disproportionnés ont fini par faire réagir Pékin. Après avoir infligé à Qualcomm une amende de 975 millions de dollars pour abus de position dominante en 2015, il est parvenu, trois ans plus tard, à bloquer sa tentative de rachat du néerlandais NXP, faisant valoir que l’opération réduirait encore la marge de manœuvre de ses entreprises (6).

« Nous sommes en guerre »

Les choses ont changé. Huawei compte désormais parmi les plus gros détenteurs de BEN liés à la 5G. Cela ne l’empêche d’ailleurs pas de rester très critique à l’égard du système mondial de propriété intellectuelle — M. Guo a appelé à une révision des règles de ce « club international » dans un sens plus équitable et profitable à tous, comparant les redevances à « un droit de passage imposé par des bandits de grand chemin ». Certes, le caractère « essentiel » des brevets détenus par le groupe est sujet à caution. Comme l’a souligné un analyste, si le smartphone était un avion, les brevets de Nokia et Ericsson couvriraient le moteur et le système de navigation, tandis que ceux de Huawei ne protégeraient que les sièges et les chariots repas… Mais, quelle que soit la puissance de ses brevets, Huawei est parvenu à s’extraire de sa situation de dépendance.

Pour la Chine, chercher à devenir un prêteur de brevets (plutôt qu’un emprunteur) est économiquement sensé. C’est ainsi qu’elle a réussi à combler l’immense fossé qui la séparait des États-Unis en termes de droits nets perçus : si, en 1998, les entreprises américaines touchaient 26,8 fois plus de redevances que leurs homologues chinoises, en 2019 le rapport n’était plus que de 1,7 (7). Logiquement, Pékin commence aussi à peser davantage dans les organismes mondiaux de normalisation (8). La Commission électrotechnique internationale (IEC) et l’Union internationale des télécommunications (ITU) sont dirigées par des Chinois, et le mandat de trois ans du premier président chinois de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) a pris fin en 2018.

À l’Organisation des Nations unies (ONU), la Chine s’est montrée très active dans la définition des normes entourant les technologies de reconnaissance faciale. Au sein de l’ISO, elle s’est particulièrement intéressée aux villes connectées, terrain de prédilection d’Alibaba, ce qui n’a pas manqué d’inquiéter le Japon (9). Enfin, à travers son ambitieux programme China Standards 2035, lancé en grande pompe en 2020, elle entend améliorer la coopération entre les compagnies de technologie et les agences gouvernementales pour encourager l’élaboration de normes internationales favorables à ses intérêts.

Et maintenant, que vont faire les États-Unis ? Certains observateurs établissent un parallèle entre la campagne antichinoise actuelle et les années 1980, quand Washington tentait de dompter les géants industriels japonais. En 1986, bien des membres de l’administration Reagan et des industriels ont cru s’étrangler quand Fujitsu a annoncé son intention de racheter Fairchild Semiconductor, légendaire fabricant américain de semi-conducteurs. Un cadre du secteur résumait le sentiment général : « Nous sommes en guerre contre le Japon — pas une bataille avec des armes et des balles, mais une guerre économique dans laquelle les munitions sont la technologie, la productivité et la qualité » (Los Angeles Times, 30 novembre 1987). Quelques années plus tôt, les sanctions commerciales encouragées par la Maison Blanche avaient réussi à empêcher Toshiba, un autre mastodonte japonais, de vendre ses ordinateurs sur le marché américain.

« Nous sommes en guerre » : le slogan n’a pas vraiment changé. Le conflit commercial américano-japonais a connu un dénouement pacifique — au prix de la croissance nippone ; beaucoup en Chine ont voulu croire qu’il en irait de même et qu’un accord durable finirait par se dessiner au prix de quelques concessions. Mais cette issue paraît de plus en plus improbable. À ce sujet, l’administration Trump se divise en trois camps. Le premier est celui du président lui-même. Tout laisse à penser que ses attaques contre Huawei et consorts s’inscrivent dans une stratégie plus vaste visant à s’assurer un avantage commercial sur Pékin. En effet, si l’objectif était réellement d’empêcher l’hégémonie de la Chine sur la 5G, ZTE, entreprise d’État, ferait un bien meilleur punching-ball que Huawei — or il s’en tire actuellement sans plus de dommages qu’une amende de 1 milliard de dollars. Pour M. Trump, Huawei est une monnaie d’échange dans les négociations commerciales — et aussi un slogan de campagne.

Le deuxième camp est celui des « faucons », menés par MM. Peter Navarro, conseiller du président au commerce, et Robert Lighthizer, représentant américain au commerce. À leurs yeux, contenir la montée en puissance de la Chine relève d’un impératif vital, et ils n’hésiteraient pas à frapper Huawei encore plus fort que cela n’a été fait. Ils sont derrière toutes les propositions qui visent à élargir l’éventail des entreprises chinoises touchées par les sanctions. Enfin, il y a le troisième camp, celui du complexe militaro-industriel, qui préfère jouer les « colombes ». Et pour cause : la Chine représente un marché lucratif. À lui seul, en 2019, Huawei a acheté pour 19 milliards de dollars de matériel électronique à des fabricants américains. Empêcher les industriels nationaux de commercer avec la Chine revient à favoriser leurs concurrents étrangers.

Tant qu’a subsisté l’espoir d’une mise en œuvre complète de l’accord commercial sino-américain signé en janvier dernier, le camp des « colombes », qui inclut notamment le ministre des finances Steven Mnuchin, a réussi à tempérer les ardeurs antichinoises de MM. Navarro et Lighthizer. Avec la détérioration de la situation géopolitique et la crise du Covid-19 — dont M. Trump impute la responsabilité à la Chine —, cette perspective faiblit. Aussi Huawei risque-t-il de rester une monnaie d’échange dans des échanges qui n’auront jamais lieu.

En attendant, les mesures de rétorsion se multiplient. Début août dernier, M. Pompeo a annoncé le renforcement du programme Réseau propre (Clean Network), qui vise à purger Internet de l’« influence néfaste » du Parti communiste chinois. Quelques jours plus tard, Washington retirait à Huawei toute possibilité de recourir à des technologies impliquant de près ou de loin des entreprises américaines, ce qui lui promet un beau casse-tête pour continuer à fabriquer ses produits. Car, en dépit des sommes colossales investies dans la R&D, des bataillons d’ingénieurs et de l’apologie de l’innovation maison, il est des composants que Huawei ne peut ni produire lui-même, ni se procurer en Chine.

C’est le cas des puces ultramodernes Kirin, conçues en Chine mais gravées à l’étranger, cruciales pour les fonctionnalités reposant sur l’intelligence artificielle. Engagée dans une course avec la Silicon Valley depuis une quinzaine d’années, la Chine a fait des progrès considérables dans ce domaine, au point de dominer nettement certaines technologies, comme la reconnaissance faciale. Cependant, son principal atout résidait jusqu’à présent dans sa capacité à récolter de gigantesques masses de données pour alimenter et entraîner les algorithmes d’apprentissage automatique — une collecte effectuée par ses géants du numérique, mais aussi rendue possible par l’exploitation d’une main-d’œuvre étudiante bon marché. Or ce modèle était conçu pour le monde d’avant, un monde où la Chine pouvait compter sur des livraisons ininterrompues de matériels de haute performance fabriqués à Taïwan ou aux États-Unis. Aujourd’hui, la rupture de ces chaînes d’approvisionnement met en péril l’intelligence artificielle chinoise dans son ensemble (10). En déclarant la guerre à Huawei, les Américains cherchent peut-être tout autant à l’empêcher de disposer de ses propres semi-conducteurs à travers sa filiale HiSilicon qu’à freiner son avance dans la 5G.

En matière de politique industrielle aussi, l’heure est à l’offensive américaine. Les parlementaires ont décidé de réserver des fonds pour la construction de réseaux en architecture ouverte qui pourraient, à terme, se substituer à ceux de Huawei et de ses concurrents. Parallèlement, l’enveloppe budgétaire allouée aux fabricants américains de semi-conducteurs dans le cadre du Chips for America Act, actuellement en discussion au Congrès, a été portée à 10 milliards de dollars. Washington semble avoir compris que la période de tensions géopolitiques n’est pas le moment idéal pour affaiblir ses hérauts du numérique. La Silicon Valley en profite : ce serait sur les conseils du patron de Facebook que M. Trump a décidé de s’en prendre à l’application TikTok.

Dans l’ensemble, la réaction de Pékin a été moins agressive. Il faut dire que la Chine n’a pas attendu l’assaut américain pour renforcer sa souveraineté technologique à coups de milliards de dollars d’argent public, même si, entre-temps, la crise sanitaire a accaparé une partie de ces fonds (le déploiement de la 5G, notamment, a pris du retard). En mai, juste après l’annonce par l’administration Trump de nouvelles restrictions touchant Huawei et ses fournisseurs, M. Xi Jinping a dévoilé un plan de 1 400 milliards visant à assurer le leadership chinois sur plusieurs technologies-clés à l’horizon 2025. Les deux expressions les plus en vogue en Chine en ce moment sont « désaméricanisation » — de la chaîne d’approvisionnement et de l’infrastructure technologique — et « économie de double circulation » — une nouvelle orientation politique qui consiste à articuler le recentrage sur le marché intérieur et le développement de technologies de pointe susceptibles d’être exportées.

Alors que les discussions vont bon train autour de la vente prochaine par TikTok de ses activités américaines, Pékin a allongé la liste des technologies dont il entend contrôler l’exportation, y incluant les algorithmes de recommandation de contenu, la reconnaissance vocale et bien d’autres applications d’intelligence artificielle. En réaction au programme américain Réseau propre, la Chine vient également d’annoncer le lancement de son propre réseau international, la Global Data Security Initiative, destinée à contrer la surveillance et l’espionnage américains.

Pour l’instant, Huawei tient bon. Dès l’arrestation de Mme Meng, anticipant un durcissement des sanctions, l’entreprise avait commencé à amasser des stocks, qui peuvent durer entre dix mois et deux ans — mais certaines pièces seront obsolètes d’ici là. Elle a aussi dans sa besace une ribambelle de contrats de réseaux 5G. Enfin, consciente que ses appareils n’auront bientôt plus accès aux mises à jour d’Android, elle a résolu de mettre au point son propre système d’exploitation : Harmony OS.

Quel que soit le sort de Huawei dans un avenir proche, le message a été reçu cinq sur cinq par Pékin, Moscou et d’autres capitales : la souveraineté technologique est un impératif. La Chine l’avait compris bien avant la déclaration de guerre de M. Trump, qui n’a fait que renforcer encore le sentiment d’urgence. Paradoxalement, c’est donc Washington qui aura poussé Pékin à mettre en pratique l’une des nombreuses maximes de M. Ren : « Sans indépendance [technologique], il n’y a pas d’indépendance nationale. » L’ironie serait que la bataille de l’Amérique contre Huawei donne naissance à une Chine bien plus avancée et autonome sur le plan technologique, qui aurait complètement éliminé les fournisseurs américains de ses chaînes d’approvisionnement.

Evgeny Morozov

Fondateur et éditeur du portail The Syllabus. Auteur de Pour tout résoudre cliquez ici. L’aberration du solutionnisme technologique, FYP Éditions, Limoges, 2014.

(1Cité dans Yun Wen, The Huawei Model. The Rise of China’s Technology Giant, University of Illinois Press, Champaign (Illinois), à paraître en novembre 2020. Les citations suivantes de dirigeants de Huawei proviennent de cet ouvrage.

(2Lire « Chine – États-Unis, le choc du XXIe siècle », Manière de voir, n° 170, avril-mai 2020.

(3Cf. Linda Weiss, America Inc. ? Innovation and Enterprise in the National Security State, Cornell University Press, Ithaca, 2014.

(4Yun Wen, op. cit.

(5Dieter Ernst, « China’s standard-essential patents challenge : From latecomer to (almost) equal player ? », Centre for International Governance Innovation, juillet 2017, Waterloo (Canada).

(6C’est bien Qualcomm qui voulait racheter NXP, et non pas l’inverse, comme indiqué par erreur dans la version imprimée.

(7Gregory Shaffer et Henry Gao, « A new Chinese economic order ? », Journal of International Economic Law, Oxford, à paraître.

(8John Seaman, China and the New Geopolitics of Technical Standardization, Institut français des relations internationales, Paris, janvier 2020.

(9« Japan grows wary of China’s smart-city global standards », Nikkei Asian Review, Tokyo, 11 août 2020.

(10Cf. Paul Triolo et Kevin Allison, « The geopolitics of semiconductors », Eurasia Group, New York, septembre 2020, et Dieter Ernst, « Competing in artificial intelligence chips : China’s challenge amid technology war ».

Anselm Jappe – Les évidences du progrès

Il y a des choses qui sont tellement évidentes que personne ne le voit plus ni ne les mentionne – et celui qui les rappelle aux autres semble débiter des banalités. Ce qui ne constitue pas une bonne raison pour ne pas les dire. Le débat actuel sur les réseaux 5G et le « progrès » en est un bon exemple. La première question qu’il faudrait poser, avec simplement un peu de bon sens, est : progrès en quoi ? 

Il y a des choses qui sont tellement évidentes que personne ne les voit plus ni ne les mentionne – et celui qui les rappelle aux autres semble débiter des banalités. Ce qui, cependant, ne constitue pas une bonne raison pour ne pas les dire.

Le débat actuel sur les réseaux 5G et le « progrès » en est un bon exemple, avec ses injonctions caricaturales de choisir entre la 5G et la « lampe à huile ».

La première question qu’il faudrait poser, avec simplement un peu de bon sens, est : progrès en quoi ?

Personne ne se félicite, par exemple, des « progrès » du covid ! Il faut que le progrès améliore la vie humaine.

Il peut alors y avoir deux types principaux de progrès : un progrès technique, qui consiste dans une domination accrue de la nature par l’homme, et un progrès qu’on pourrait appeler « moral » ou « social » : les rapports humains deviennent meilleurs, moins violents, plus solidaires, plus « inclusifs ».

Depuis le début du discours sur le progrès, le rapport entre ces deux formes est incertain. Souvent on présuppose, comme une évidence, que le progrès technique comporte automatiquement un progrès moral ; d’autres, surtout à gauche, misent davantage sur le progrès social, mais considèrent que l’amélioration des conditions matérielles en est la base indispensable et que seul le développement technique peut assurer cette amélioration.

Un gouvernement ne peut pas prôner l’adoption de nouvelles technologies comme un but en soi : il doit toujours prétendre que celles-ci rendront plus belle la vie de tous.

Toutefois, il n’y a aucun lien nécessaire entre les deux formes de progrès : on peut avoir un fort développement technologique combiné à une régression morale, comme dans le cas du nazisme, mais aussi un progrès social qui n’a pas cure du développement technique, comme le prônaient Jean-Jacques Rousseau, la plupart des courants anarchistes, mais aussi de nombreux discours religieux (comme les Amish !).

Surtout dans les dernières décennies, la société a pris conscience du fait que les solutions technologiques, même là où elles amènent des avantages incontestables, comportent presque inévitablement des effets indésirables.

On le sait, par expérience, bien avant toute « étude d’impact » ou « évaluation des risques ». Pour cette simple raison, celui qui propose l’usage d’une nouvelle technologie comme réponse à un problème devrait toujours démontrer qu’on ne peut pas obtenir le même effet ou résoudre le problème en question sans avoir recours aux technologies, et donc en courant moins de risques.

Et voilà la deuxième évidence invisible.

Avant de nous permettre de regarder des vidéos même dans l’ascenseur ou de visiter chaque week-end une autre métropole en avion, le progrès avait surtout cette noble vocation : diminuer les souffrances non nécessaires. « Qu’aucun enfant n’aille au lit en ayant faim » : ainsi a-t’on pu définir l’objectif minimal d’un progrès humain.

Mais comment y arriver ? Par des moyens techniques ou sociaux ?

Aujourd’hui, la très grande majorité des souffrances humaines n’est pas causée par la « nature », mais par l’organisation de la vie sociale. Il devrait alors être beaucoup plus facile pour l’homme de changer ce qui dépend de l’homme que ce qui dépend de la nature. Ce que l’homme a fait, il peut – en principe – le défaire.

Ainsi, pour mettre un terme à la faim dans le monde, il suffirait peut-être de cultiver toutes les surfaces agricoles par des petites fermes polyvalentes, d’éviter les monocultures orientées vers l’exportation, de ne pas donner des primes aux agriculteurs pour cesser de l’être, de ne pas jeter à la mer les « excédents » agricoles, et en outre de ne plus soutenir des régimes qui exportent des cacahuètes pour acheter des armes…

Impossible, nous répondra-t-on, c’est joli mais utopique : le commerce mondial s’écroulerait, les consommateurs occidentaux n’accepteraient pas de renoncer à leurs steaks, et les investissements et les emplois en souffriraient.

Si l’ordre social est intouchable, on se met alors à changer la nature : on invente les pesticides et la manipulation génétique, des produits chimiques et des machines gigantesques dans le but de créer une masse énorme de produits agricoles, mais dans des conditions épouvantables.

Il est, semble-t-il, plus facile de casser la plus petite unité du vivant, le génome, que d’exproprier une compagnie fruitière, plus facile de créer des milliers de molécules de synthèse que d’accepter la faillite de Monsanto, plus facile d’inventer des semences autostériles que d’enlever aux consommateurs leurs BigMac.

Autre exemple : une des causes principales autant de la pollution que de la consommation effrénée d’énergie sont les transports quotidiens entre le lieu de travail et l’habitation pour une partie considérable de la population. Ce problème est désormais mondial, et il est évident qu’il a beaucoup à voir avec les prix du logement dans les grands villes, et donc avec la spéculation immobilière.

Mais s’attaquer à ce fléau à la racine signifierait s’attaquer à la sacro-sainte propriété privée : et il est alors plus facile d’extraire le pétrole à l’autre bout de la terre et de l’envoyer par pipeline, ou de se lancer dans le nucléaire. La fission de l’uranium paraît plus facile à maîtriser que les actionnaires de Total ou d’Exxon.

Ou encore : beaucoup de gens, désespérant de réussir à avoir un enfant de manière « naturelle », font appel à la procréation assistée – qui cependant pose de gros problèmes en tout genre. Bien sûr, le taux de fertilité a fortement diminué dans ces dernières décennies et cela a très probablement un rapport avec la présence excessive des produits de synthèse chimiques dans notre environnement – mais en affronter les causes est bien trop compliqué et heurte trop d’intérêts et d’habitudes, à tous les échelons sociaux.

Mieux vaut alors se lancer dans des solutions technologiques, pour dangereuses qu’elles puissent être.

C’est un des grands paradoxes de notre temps : ce qui est social, donc fait par l’homme, est considéré comme naturel, et donc absolument immuable. Les « lois du marché », la « concurrence internationale », les « impératifs technologiques », la « nécessité de croissance » semblent bien plus immuables que la loi de la gravitation. Qui propose de les changer passe, dans le meilleur des cas, pour un naïf, sinon pour un terroriste.

En revanche, les limites que la nature pose effectivement à l’homme (par exemple sous forme d’insectes qui veulent, eux aussi, manger les plantes cultivées, ou du fait que le corps humain est mortel, ou qu’il n’a pas le don de l’ubiquité) sont considérées comme si elles étaient sociales : toujours provisoires, en attente de « trouver une solution », coûte que coûte.

Ainsi, l’humanité s’avoue impuissante face à ses propres créations. Est-ce un destin inéluctable ? Ou peut-elle s’organiser différemment ?

Antoine Rouvroy – Des Lumières à la 5G

Repris de la page LinkedIn d’Antoinette Rouvroy

« Lorsque vous accélérez, votre capacité d’accélération est limitée par des contraintes matérielles, mais il doit aussi y avoir une limite de vitesse transcendantale à un moment donné. La limite ultime (…), c’est la mort, ou la schizophrénie cosmique. C’est l’horizon ultime ».* (Ray Brassier, « Mad Black Deleuzianism: On Nick Land (Accelerationism) », 2017.)

Michel Foucault, à son époque, exhortait à ne pas tomber dans le piège du chantage intellectuel et politique qui consistait à répondre à la question “pour ou contre les Lumières”.[i] A present que les lumières s’éteignent, la question n’est même plus “pour ou contre les Lumières”, mais “pour ou contre l’innovation, aka la 5G”. Cette fausse question ou ce « chantage à l’innovation » auquel Monsieur Macron – mais il n’est pas le seul – recourait récemment[ii], fait partie de la stratégie d’oblitération de la matérialité des enjeux au profit d’un impératif d’accélération absolument creux. « [T]here is an important sense in which the only thing that does not seem to matter any more is matter », écrit très justement Karen Barad.[iii]

La 5G ce n’est pas qu’une affaire de start-ups ou de licornes magiques: cette accélération des flux présente des coûts humains (a), climatiques et écologiques (b), psychiques (c) et politiques (d) exorbitants, et, pour tout dire, au dessus de nos moyens.

(a) Un peu comme les enfants de la ville qui croient que les poulets poussent sous cellophane, les adeptes de l’accélération des débits[iv] ont l’air de croire que les smartphones poussent dans les startups. Mais les smartphones, et plus généralement tous les composants électroniques, à peu de choses près, qui entrent dans la composition de ce qu’ils appellent l' »innovation » ou le « progrès », ont moins de chance d’être pondus par des licornes magiques que d’être produits dans l’une des nombreuses usines de Foxconn, le géant taïwanais du composant électronique. S’il allait y faire un tour, il aurait la chance d’y rencontrer les esclaves – « forced labor » – sans qui rien de tout ceci ne serait possible.[v]

(b) Par ailleurs le coût climatique et écologique de la 5G est au dessus de nos moyens, enfin, de ceux de nos enfants.[vi] Mais nos enfants, et les enfants à venir, ne votent pas encore et ne voteront peut-être jamais, au rythme où s’accélère l’effondrement.

(c) La 5G aura aussi, indubitablement un coût psychique invalidant: l’individu pris dans les flux numériques jusqu’au cou, sans aucun répit, ne risque pas de se guérir des pathologies d’addiction aux écrans, de stress. Notre système immunitaire ne serait pas fait, paraît-il, pour métaboliser en continu des alertes, des notifications, qui interrompent sans cesse la vie…on peut s’attendre à ce que les capacités d’attention s’érodent au point que l’apprentissage de quoi que ce soit ne fasse bientôt plus partie du répertoire des passions humaines, ‘homo numericus‘ se contentera de réagir sur le mode réflex aux stimuli numériques. Il y aura gagné très certainement une certaine dextérité des deux pouces mais probablement pas grand chose d’autre.

(d) La 5G, à part tout cela, ouvre quelques perspectives séduisantes, comme celle de la voiture autonome, dont on nous dit qu’elle optimisera mieux les modes de conduite, qu’elle sauvera des vies, etc. Il est certain que la 5G, pour une voiture pilotée par une IA, c’est un must. L’une des difficultés est que, comme l’IA a du mal à comprendre le contexte dans lequel elle roule (elle n’a, pour ainsi dire aucune « intelligence du corps »), il faudrait tout réaménager – la ville, le « partage » de la route entre les différents types de véhicule et d’usagers… – pour et autour de la reine voiture alors que la fabrication et le recyclage de cet objet roulant, on le sait, n’est absolument pas soutenable quel que soit l’angle sous lequel on regarde les choses. A part la voiture, si on prend les choses sous un angle de SF dystopique, la 5G nous rapproche aussi de l’hypothèse de la fusion cyberphysique[vii] et d’un « enregistrement » des moindres frémissements du monde en temps réel, en haute définition, dans le « cloud ». La fusion cyberphysique – accentuant un régime d’indistinction entre les signaux numériques et les choses grâce notamment au déploiement de l’”internet des objets” et des dispositifs dits d’ “intelligence ambiante”[viii] – c’est aussi la perspective d’une gouvernance du monde par de super-algorithmes métabolisant en temps réel les données captées dans le cloud sur le mode du trading à haute fréquence, spéculation prédatrice comprise. Le personnel politique lui-même deviendrait alors une sorte de redondance décorative dont peut-être les algorithmes « décideront » de se dispenser.[ix] Que sommes-nous pour les algorithmes? Du grain à moudre? Des bitcoins? De simples résidus sémiotiques a-signifiants, des traces en voie d’effacement ? Des bio-hazards ? Sans doute revient-il au « peuple » (mais le mot même semble tombé en disgrâce) de décider – en tenant compte de l’avenir qui est au peuple sa part manquante et son principe vital[x]– s’il veut s’exposer à la possibilité d’un tel changement de « régime », mais on ne lui a rien demandé.

Il faut avoir perdu le sens du globe terrestre – autant dire avoir quitté le monde ou perdu la boule – pour ne pas percevoir l’irrationalité absolue des prétentions du messianisme techno-solutionniste à convertir – comme par magie ou par miracle – les perspectives d’effondrement et d’extinction[xi] en perspectives de croissance et de consommation illimitées. Mais c’est bien précisément parce qu’elle prétend immuniser cet imaginaire d’illimitation[xii], de démesure[xiii] dans l’extractivisme contre les limites et régulations propres à la matérialité et à l’organicité, ou, pour le dire autrement, propres au monde physique et à la vie, que la perspective d’une « transition numérique » et d’un « tournant algorithmique » paraît irrésistiblement séduisante. Pour autant, cette dés-intelligence des limites[xiv], cet oubli de la matérialité et de l’organicité ne sont pas synonyme de progrès, d’émancipation, de victoire de la pensée rationnelle, mais de superstition et de déni de responsabilité. Quitter aujourd’hui un mode de résolution des problèmes qui fait assumer au décideur les conséquences concrètes de ses décisions, comme si ses décisions ne lui étaient en fait pas imputables (on ne va pas contre l’innovation) car s’imposant sur le mode de la nécessité émancipée de toute exigence de justification ne serait pas seulement anti-démocratique (ce « décisionnisme »[xv] – là est effectivement un trait commun aux régimes dictatoriaux), ce serait aussi une manière de baisser les armes face aux défis planétaires les plus urgents. Il reste peu d’huile dans le fond de la lampe, mais la colère est un catadioptre.


* Ma traduction. L’intervention de Ray Brasssier: https://www.youtube.com/watch?v=3QSOuVnFhEw

[i] Michel Foucault (1984) « Qu’est-ce que les Lumières ? » in Rabinow (P.), éd., The Foucault Reader, New York: Pantheon Books, pp. 32-50, aussi dans Dits et écrits, texte n°339.

[ii] « Évidemment on va passer à la 5G. Je vais être très clair. La France c’est le pays des Lumières, c’est le pays de l’innovation et beaucoup des défis que nous avons sur tous les secteurs se relèveront par l’innovation. Et donc on va expliquer, débattre, lever les doutes, tordre le cou à toutes les fausses idées, mais oui, la France va prendre le tournant de la 5G parce que c’est le tournant de l’innovation. Et j’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile ! Je ne crois pas au modèle Amish. Et je ne crois pas que le modèle amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine. » (Emmanuel Macron, 14 septembre 2020).

[iii] Karen Barad (2003) « Posthumanist Performativity: Toward an Understanding of How Matter Comes to Matter », Signs: Journal of Women in Culture and Society, vol.28, no.3.

[iv] Les débits de la 5G peuvent atteindre 70 Gbits/s.

[v] A ce sujet, voir notamment Jack Linchuan Qiu, “Goodbye iSlave: Making Alternative Subjects Through Digital Objects”, in. David Chandler and Christian Fuchs, eds. (2019). Digital Objects, Digital Subjects: Interdisciplinary Perspectives on Capitalism, Labour and Politics in the Age of Big Data. London: University of Westminster Press., pp. 151-164.

[vi] Fabien Abrikh, Camille Aiguinier et al.,(2019), Empreinte environnementale du numérique mondial (analyse du cycle de vie simplifiée 2010-2025). https://www.greenit.fr/wp-content/uploads/2019/10/2019-10-GREENIT-etude_EENM-rapport-accessible.VF_.pdf

[vii] Dans un livre blanc publié le 24 janvier 2020 consacré à la perspective de déploiement de la 6G (promettant des débits de données à 100 Gbits/s.) en 2030, l’opérateur de téléphonie mobile japonais DoCoMo, décrit la fusion cyberphysique comme la transmission et le traitement de quantités massives d’informations entre le cyberespace et l’espace physique sans aucun délai, impliquant une nouvelle topologie tridimensionnelle du réseau, comprenant des satellites géostationnaires, des satellites en orbite basse et ce qu’on appelle des pseudo-satellites à haute altitude (HAPS) de manière à rendre la 6G omniprésente non seulement sur Terre mais aussi dans le ciel, dans la mer, dans l’espace. Cette fusion cyberphysique permettrait notamment d’automatiser, d’optimiser et de personnaliser en temps réel toutes les interactions commerciales, administratives, sécuritaires,…à travers une surveillance de masse dans laquelle l’autorité ne serait plus assumée par aucune figure concrète alors que les « fonctions objectives » (détermination de ce qui doit être optimisé) assignées aux algorithmes ne seraient plus tributaires que de logiques sectorielles/industrielles émancipées de tout arbitrage ou limitation en fonction de principes de perfectibilité du social comme la justice ou encore la soutenabilité environnementale, sociale, psychique.

[viii] A ce sujet , Mireille Hildebrandt, Antoinette Rouvroy, eds. (2011). Law, Human Agency and Autonomic Computing. Routledge.

[ix] conformément à certaines perspectives ouvertes par l' »accélérationnisme de droite » ou par une sorte de nihilisme anarcho-libertarien dont Nick Land est particulièrement représentatif (The Thirst for Annihilation: Georges Bataille and Virulent Nihilism : an Essay in Atheistic Religion. Routledge, 1992)… Comme l’indiquait Ray Brassier, « death is the transcendental speed limitation. »

[x] « Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, « naturelle », c’est finalement le fait de la natalité, dans lequel s’enracine ontologiquement la faculté d’agir. En d’autres termes : c’est la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencent à nouveau l’action dont ils sont capables par droit de naissance » (Hannah Arendt (1983). Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, Coll. Agora les classiques).

[xi] Sur la nécessité de remplacer l’imaginaire d’illimitation propre aux sociétés capitalistes par un imaginaire d’extinction, voir Franco Berardi, « Virus mythologies », interview réalisée par Srecko Horvat, 24 avril 2020 (streeming disponible sur YouTube).

[xii] La prolifération de données numériques ne semble jamais devoir rencontrer aucune limite ni épuiser sa « source »

[xiii] A l’idée mesure inspirée de l’épistémologie traditionnelle des sciences de la nature présupposant l’existence de choses mesurables se substitue le principe de métriques hyper-mobiles dans un espace numérique abstrait coordonnées ou de « data points » produits à travers une réduction informatique oblitérante de toute référentialité matérielle, sociale, organique.

[xiv] Sur cette question voir Patrick Tort (2018). L’intelligence des limites. Essai sur le concept d’hypertélie. Gruppen.

[xv] Ce décisionisme techno-solutionniste se redouble de ce que Luciana Parisi appelle « décisionisme algorithmique », qui privilégie la production de décisions tranchantes et rapides à la production de décisions correctes. Pour le décisionisme, le critère de « validité » ou de « félicité » d’une décision est son caractère « décisif ». (Luciana Parisi, « Reprogramming Decisionism », e-flux journal, n.85, October 2017. )

LQDN – Brisons le totem de la 5G

Repris du site de la Quadrature du Net

La Quadrature du Net refuse le futur promis par les promoteurs de la 5G.

Nous refusons le rêve d’Ericsson pour qui la 5G ouvrira à la « smart surveillance » un marché de 47 milliards de dollars d’ici 2026. Nous refusons que la vidéosurveillance puisse représenter le marché le plus important des objets connectés permis par la 5G, estimé à 70% en 2020, puis 32% en 2023. Nous refusons le fantasme sécuritaire dans lequel « l’obtention d’image d’une très haute qualité ouvre la voie à l’analyse intelligente de la vidéo via l’IA ». Nous refusons l’ambition de l’ancien employé de Safran, Cédric O, de procéder au déploiement de la 5G quoi qu’il en coûte.

Peu importe que ces promesses soient crédibles ou non, nous mettons en garde contre ce qu’elles représentent. Elles sont le rappel, fait par une industrie techno-sécuritaire qui n’existe que pour elle-même et impose partout son agenda, que nous n’avons jamais eu notre mot à dire sur ces grands programmes industriels ; que cette industrie et ses relais au sein de l’État s’arrogent le droit de nous contrôler au travers de leurs innombrables gadgets, quitte à participer à la ruine de ce monde ; quitte à risquer ce qu’il nous reste d’humanité.

Si l’industrie de la surveillance a fait de la 5G le totem de son monde fantasmé, il nous faut briser ce totem. Nous l’affirmons avec d’autant plus de détermination que nous savons que les politiques en matière de télécoms pourraient avoir un visage bien différent, que les réseaux télécoms pourraient être faits pour les gens et par les gens. Partout en Europe et dans le monde, des alternatives existent. Elles se heurtent malheureusement à l’indifférence coupable et intéressée des gouvernants.

À La Quadrature, les débats sur la 5G ont commencé il y a déjà quelques temps et sont parfois très animés. Au delà de la position commune affichée ici, nous prévoyons de publier différentes tribunes qui seront recensées ci-dessous afin de donner à voir les nuances dans nos positionnements.